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le passage

Il est 8h30 et la nouvelle vient de tomber. Un proche vient de faire le passage away après quelques jours de résistance au mal qui se répand dans tout le corps et qui fait ravage silencieusement.

Depuis quelques jours, les échanges se font de plus en plus de façon unilatérale. On se réjouit d'abord d'un regard qui se tourne, d'une bouche qui s'ouvre, d'une main qui se soulève. Et puis on surveille une étincelle dans ce regard qui se fige. Vient ensuite le moment ou l'on veut et l'on est persuadé que le mouvement de la paupière répond à la voix qui lui parle ou à la main qui se pose sur son front. Alors, on parle de la météo, on est déjà au mois de Mai, il fait beau d'ailleurs pour un 9 mai. Les enfants sont à l'école car on est mardi. Hier, on a écouté une énième fois Les forêts de Sibérie d'Ibrahim Maalouf...ah oui, il faut que je vous le fasse écouter. Bien sur, je sais que vous aimez écouter de l'accordéon et danser avec votre belle, mais Maalouf c'est pas mal non plus.

On écoute ce souffle qui semble venir du plus profond de son être, ce râle qui nous fait espérer qu'il n'est pas souffrance. Et on dit ce qu'on n'aurait pas pu dire les yeux dans les yeux, par pudeur, par manque de temps...présent. "je suis contente de vous connaître" "vous êtes quelqu'un de bien, de beau, de sensible et ça me fait du bien".

Et puis vient le moment où par tristesse ou colère, on se demande où est le passage? Quand il n'y a plus de souffle ou quand il n'y a plus d'échange?

Pourquoi, à un moment donné, je ne peux plus? Plus le regarder sans penser qu'il n'est déjà plus tout à fait là. L'impression qu'il est déjà loin, il devient de plus en plus petit sur l'horizon. Ce fut bizarre.

Maintenant il est parti.

Son visage est figé. Mort.

Il est déjà pour moi partout et nulle part à la fois. Il est là, à l'intérieur de chacun de ses proches, il est autour à travers les souvenirs vieux ou récents.

Il est dans les discussions, dans les larmes, dans les fleurs qui s'accumulent. Il est là dans les rencontres avec les cousins lointains venus dire "on est là".

Il est là, partout mais il n'est plus dans ce corps que l'on vient saluer une dernière fois.

Je respecte, ô combien, je respecte le deuil de chacun, sa façon de le vivre, et je ne parle donc que de façon personnelle. Très personnelle. Mais je ne m'y fais pas à la veille du corps. J'aime ces rencontres avec les gens pour évoquer des souvenirs, rire d'anecdotes, se rappeler cet être cher. Mais je ne comprends cette exposition d'un corps sans vie, car ce n'est plus lui, un être humain est d'abord une âme. Et quand l'âme a quitter le corps pour errer dans l'ensemble, dans l'infini, le corps n'est qu'une enveloppe vide.

Sans doute que chaque deuil est différent suivant le lien que l'on a avec ce proche et que cette vision de l'événement évolue au cours du temps ou des sentiments.

Lors du décès "voulu" d'un proche, un thérapeute m'a dit "s'il a choisi de partir c'est qu'il n'avait plus rien à faire ici parmi nous", difficile d'entendre ça en pensant aux jeunes enfants qu'il laisse derrière. Et il ajoute, "chacun part au moment qui est le sien, que l'on soit jeune ou vieux, et nous devons respecter cela en laissant "partir" les gens par l'acceptation.

Dix ans après, je comprends mieux ces paroles.

Accepter pour laisser en paix l'âme qui flotte dans les airs et qui nous aide et veille sur nous par ce qu'elle nous a transmis, donné, appris, aimé.

Le deuil est un moment difficile mais c'est grâce aux épreuves que l'on avance.

Il est peut-être un peu démentiel de dire cela mais j'ai compris la valeur de la vie quand ce proche a mis fin à la sienne, il y a 10 ans. Ce fut donc à posteriori pour moi un magnifique cadeau, une magnifique ouverture d'esprit, une belle leçon de vie que j'ai reçu de lui. Aussi paradoxal que cela puisse paraître.

Pleurer la mort, c'est estimer la vie à sa juste valeur.

On a pleuré.


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